Mailman Read online




  J. ROBERT LENNON

  M A I L M A N

  Roman

  TRADUIT DE L’ANGLAIS (ÉTATS-UNIS)

  PAR MARIE CHABIN

  M O N S I E U R T O U S S A I N T

  L O U V E R T U R E

  Ce livre a été écrit par

  J. ROBERT LENNON,

  dédicacé à tous ses facteurs bien aimés,

  avec ses plus vifs remerciements,

  traduit par MARIE CHABIN,

  et, enfin, édité par DOMINIQUE BORDES,

  assisté de CLAUDINE AGOSTINI, LOUISE BORDES, YANN DUDREUIL,

  THOMAS DE CHTEAUBOURG, BÉATRICE PÔ, JULIE BERLOT

  FRANÇOIS GUILLAUME et PIERRE MOQUET.

  Titre original : Mailman.

  Copyright © 2001 by J. Robert Lennon.

  © Monsieur Toussaint Louverture, 2014,

  pour la traduction française.

  ISBN : 979-10-90724-12-9

  Dépôt légal : février 2014.

  Illustration de couverture :

  © Monsieur Toussaint Louverture.

  WWW.MONSIEURTOUSSAINTLOUVERTURE.NET

  « Il s’en va en sifflotant, et bénit le temps qu’il fait. Des photons martèlent son large torse, des neutrons pénètrent le cuir noir et lui noient les orteils. La vie a un secret, mais il ne nous l’a pas encore délivré. »

  JOHN UPDIKE,

  « Le facteur », Navigation littéraire

  PREMIÈRE PARTIE

  CHAPITRE UN

  Un facteur américain

  Et Dieu, à ce qu’on raconte, créa la Terre. Au commencement, pas vraiment de quoi crier au génie : une nébuleuse de vapeur grise, avec quelques vagues traînées de boue sur une surface informe. Une toile vierge. Dieu l’examina, décida que cela ferait l’affaire et se lança dans les détails. Il lui fallait tenir la Terre d’une main – de Ses énormes doigts moites – pendant que l’autre barbouillait le tout, ajoutant çà et là de petites touches de couleur, et tandis qu’elle travaillait aux finitions – à l’Amazone et à l’Himalaya, aux immenses forêts et aux océans, aux grandes plaines et aux steppes, aux basses terres et aux sommets enneigés –, la première main, de son côté, s’enfonçait dans la matière pour la façonner, soulevant et modelant des collines boueuses dans la roche tendre, creusant de sombres et humides tranchées. Lorsque le Créateur en eut assez d’œuvrer, Il jeta un dernier coup d’œil sur ce monde vierge, inspecta tout ce que Sa colossale paluche avait accompli et songea qu’il serait bon d’y ajouter un peu d’eau. Ainsi naquirent les lacs Finger.

  Mais si ces lacs sont effectivement les empreintes du Créateur (ne nous soucions pas, pour le moment, de ce que pourrait impliquer l’idée d’un Dieu à sept doigts), alors, celui-ci, le lac Onteo, le plus long et le plus profond, ne peut être que la marque du majeur, message inconscient des habitants de la Terre à l’intention de toute autre forme de vie intelligente : le plus grand doigt d’honneur de l’univers connu. Ou alors est-ce là un message que Dieu nous adresse, signal qu’il s’en est allé vers de plus vertes vallées. Peut-être aussi n’était-ce qu’une ébauche exécutée à la va-vite et balancée avec le même empressement dans l’arrière-cour de la galaxie, comme une plante d’appartement abandonnée là pour y crever. Peut-être le monde n’était-il pas censé prendre racine et se développer de manière aussi répugnante. Et lorsque le printemps viendra, peut-être que le Créateur s’en apercevra et qu’Il ricanera doucement avant de mettre un terme à cette misérable existence.

  En tout cas, si ces lacs sont bien les doigts de Dieu, cette ville – Nestor, dans l’État de New York – est la trace laissée par Sa grosse paume suintante, le plan quadrillé des rues celle des crêtes et des plis du creux de Sa main, et l’imposante route numéro 13, Sa ligne de cœur, qui paraît si forte, si nette, si large mais qui s’achève pourtant brutalement deux villes plus loin ; comme si Nestor se situait à la périphérie de Son amour, pathétique avant-poste né d’une omission divine.

  Pourquoi pas, pense Mailman, voilà une métaphore qui convient pas mal à cette ville, considérée tout autant comme le joyau que le trou du cul du monde, selon votre interlocuteur et le moment où vous lui en parlez. Une cité arrogante mais qui se dégoûte elle-même, à la fois minable et magnifique. Ville universitaire, ville ouvrière. Les doigts de Dieu, tu parles ! Tout au plus les empreintes de la main gauche du coupable.

  C’est le matin, le premier vendredi de juin, en l’an 2000. C’est comme ça qu’ils disent, « l’an 2000 », l’article conférant une certaine dignité au nombre, un peu comme si cette année-là était un assassin, un tyran, comme dans « L’Empaleur » ou « Le Terrible ». Mailman roule vers le nord, il remonte la colline sur la 13, cette artère maudite ; le lac s’étale comme une limace sur sa gauche, tandis qu’à sa droite s’élève un promontoire boisé dont l’argile s’effrite à vue d’œil. Il conduit une petite voiture, une Ford Escort avec hayon datant de l’époque où Ford ne valait pas tripette, sans doute la pire voiture jamais conçue : un petit hérisson bleu à moitié en plastique, dont le moteur halète et couine dès qu’il faut grimper un peu. Mais il ne s’agit pas là de son véritable véhicule ; le vrai, c’est son camion postal garé devant le nouveau centre de tri du courrier, six kilomètres plus loin, à la sortie de la ville. Il éprouve un léger frisson en pensant à son camion, à l’idée de se glisser dans le siège baquet en cuir rafistolé au gros scotch et de poser ses mains sur le volant bien trop grand ; il se voit en train de charger toutes les lettres et les secrets qu’elles recèlent, et son humeur s’adoucit immédiatement.

  L’Escort finira bien par arriver à gravir la côte mais sans jamais dépasser la moitié de la vitesse autorisée. Des 4 x 4 et des pick-up énormes déboulent à toute allure, avec des conducteurs qui ont l’air ridiculement petits, des types en costard-cravate filant vers Syracuse ou ailleurs pour retrouver leur pauvre boulot sans intérêt dans l’industrie technologique. Quelle raison peut pousser un homme seul à s’encombrer d’un engin pareil ? L’Escort pue, certes, mais question proportions, elle est correcte, construite à taille humaine. Je contrôle ma voiture, pense Mailman, et non l’inverse. Comme pour acquiescer, le moteur rétrograde en cahotant brusquement ; sur le siège arrière, tout son matériel de bureau déglingué brinquebale dans de mélodieux cliquetis. Pour noyer le brouhaha, il allume la radio. Des nouvelles de la bourse : Nikkei, Hang Seng, FTSE… Qu’est-ce que ça peut foutre si un gros bonnet de Yokohama brade l’avenir du saumon ? Rien du tout, sauf si ça passe à la radio. Les gens ne se soucient que de ce dont on leur dit de se soucier.

  Une annonce plus réjouissante, maintenant : « Venez chercher dès aujourd’hui votre badge pour la fête de Nestor ! » Car la grande branlette annuelle où toute la ville participe à son autocélébration commence cet après-midi. Le Square – le quartier commercial piétonnier du centre – sera bientôt envahi de types chevelus venus fourguer leurs bricoles ringardes dans des stands en contreplaqué, et de gargotiers qui installeront leurs plaques à graillon sur le trottoir ; on trouvera aussi des troupes de théâtre expérimental qui donneront dans les sentiments exaltés à chaque coin de rue, des tee-shirts teints à la main, des fruits bio bouffés par les vers, et l’endroit sera littéralement infesté d’enfants. Les étudiants chinois s’agiteront partout comme des hannetons. Sans parler du maire, un rouquin trapu, qui prononcera son discours annuel, sur le registre « Voilà, c’est ça, une communauté ». Oui, eh bien, très peu pour moi. Moi, ce que je veux, c’est une petite ville tranquille et comme il faut, avec des étudiants qui rentrent chez eux l’été, sans file d’attente dans les cafétérias ni sacs de courrier trop chargés, avec des jours nuageux où la chaleur étouffante cède la place à l’orage, et qu’une heure après, tout redevienne clair et frais, et que les jardins soient jonchés de branches mortes
et de nids vides tombés des arbres. Une vie normale, quoi. Pas de défilés, pas de soirées entre voisins, pas de chapiteaux, pas de courses de bateaux, pas de spécialités culinaires locales ni d’exposition florale. Le calme avant tout.

  La route devient plate, l’Escort accélère. Mailman jette à tout hasard un autre coup d’œil vers le lac, maintenant baigné de soleil. Pas si mal : Dieu savait peut-être ce qu’Il faisait, après tout. En contrebas, sur le ponton, des types sont occupés à étendre les lignes de flotteurs pour la régate qui va remonter tout le lac Onteo jusqu’à Reevesport pour finalement revenir au point de départ ; l’arrivée est prévue dimanche, on ne sait pas trop quand. L’an dernier, le premier s’est pointé à deux heures du matin, et il a été disqualifié parce qu’il n’y avait plus personne pour attester de sa victoire. Pauvre abruti… Mailman est bien loin de se désoler pour les voileux et leurs maisons au bord du lac. L’été, ils adorent ça, avec tous les bateaux et les chevaux, mais dès que tombent les premiers flocons, dès que les premières chutes de température piègent les remugles de la fabrique de papier dans la vallée, ils filent tous skier à Vail ou bronzer deux semaines sous le soleil des Bermudes. Ou bien ils vont passer l’hiver ailleurs, car les universitaires aiment doubler leur poste à NYTech (une sorte d’université pour férus d’informatique et autres geeks) d’une deuxième charge à l’université de… Hawaï, par exemple. Ils appellent ça « partager leur temps ». « Je partage mon temps entre Nestor » ou, plutôt – puisqu’ils vivent tous au nord, à Willard, là où les impôts locaux sont moins élevés – entre « Nestor et ses environs » et « la Californie du Sud ». Voire : « Nous adorons la région, mais nous préférons hiverner sur la côte, en Caroline du Sud. » Cet emploi du verbe « hiverner » n’a de sens que si vous êtes riche.

  À la radio c’est la minute technologique, on y parle de grille-pain intelligent et de prêt-à-porter informatique.

  Un peu plus loin, passé l’hôtel Radisson près de l’aéroport et le panneau annonçant feu le restaurant BBQ Chop Stop (« Le restaurant familial. Votre restaurant », avait-il lu chaque jour pendant cinq ans), on débouche sur le carrefour qui mène au centre de tri. Les feux de signalisation sont équipés de balises clignotantes, comme sur les tours de télévision ; ce croisement est le point culminant de tout le comté d’Onteo. Mailman s’engage dans le prolongement de Wayne Road, il passe devant les bureaux d’UPS et de FedEx, et leur adresse à chacun un doigt d’honneur. Tout compte fait, peut-être pas à FedEx, ces gars-là ne posent pas de problèmes, ils sont moches et tristes et ils n’ont rien à foutre de ce que vous pensez d’eux. Ils ont un nom digne d’une agence gouvernementale, arborent les couleurs nationales et, eux aussi, sont empreints d’une touche d’apathie bureaucratique, toutefois sans avoir rien de la noblesse propre aux employés des services postaux. UPS, en revanche, c’est une autre histoire. Tous ces beaux gosses aux traits bien dessinés, aux cheveux épais, dont l’âge ne dépasse jamais trente-cinq ans, qui bondissent sur vos perrons dans leur uniforme marron avec leur sourire satisfait et vous tendent un ordi de deux kilos pour que vous signiez dessus. Rien que des connards ! Et les femmes ! Le genre sportive blonde à forte poitrine, avec un fin duvet sur les bras et les jambes, une queue de cheval, le front luisant de sueur, cette façon de haleter légèrement pendant que vous apposez votre signature, et les « merci » virils sur lesquels elles vous quittent, le cul bombé sous leur pantalon uni bien moulant quand elles repartent au pas de course vers leur camionnette avant de démarrer aussi sec. Mais bon Dieu, contentez-vous de déposer vos colis devant la porte ou de laisser un avis ! Arrêtez de rouler des mécaniques.

  On pourrait parfaitement confondre le centre de tri du courrier avec le gymnase d’un lycée. Parpaings simplement peints à l’arrière, stuc industriel en devanture, la devise des postiers inscrite au-dessus de la porte, déjà délavée par les aléasclimatiques : NI LA PLUIE NI LA HALEUR NI LES ÈBRES DE LA NUI . Il est maintenant sept heures moins dix. Mailman se gare à l’arrière du bâtiment, aussi loin que possible : il a besoin de faire un peu d’exercice. Il observe les autres voitures, repère qui est déjà arrivé et qui ne l’est pas encore. Len Ronk, le superviseur, n’est pas encore là. Grosse tête, gros visage, grosses lunettes, petit corps tout maigrichon, il emploie l’expression « de base » à tout bout de champ. « Voilà ce que j’appelle des chaussures de base, avec un bon contrefort, alors allez donc vous en acheter une ou deux paires. » La pointeuse se met en route à sept heures, mais Ronk n’arrive jamais avant sept heures trente. Et pourquoi ? Parce qu’il n’y est pas obligé. Et pourquoi donc ? Parce que c’est le chef.

  Mailman grimpe d’un bond sur la plate-forme de chargement où sont entreposés les plateaux destinés au tri du courrier. Il est un peu à la bourre, la plupart des plateaux à fond plat, plus pratiques, sont déjà pris, il ne reste plus que ceux avec des croisillons. Heureusement, il a l’habitude d’en planquer quelques bons derrière les pourris, et il les retrouve exactement là où il les a laissés, calés contre une poutrelle orange. Il embarque le tout et passe par la grande porte vitrée, manquant de se faire renverser par un manutentionnaire occupé à dégager de grands bacs grillagés à roulettes.

  « Oh ! désolé, Albert.

  — Y a pas de mal », répond Mailman.

  Quel crétin, celui-là.

  Comme tous les matins, les facteurs sont rassemblés autour de la pointeuse, ils attendent qu’elle produise le petit bruit sourd et mécanique de sa mise en route. Carte de pointage et gobelet de café à la main, ils parlent avec un débit de mitraillette ; on dirait du bétail avant le coup d’aiguillon électrique. L’intérieur du bâtiment ressemble aussi à un gymnase : des couloirs colorés ; des lettres peintes sur le sol là où l’on trie le courrier ; et une espèce de passerelle fermée qui surplombe le tout, juste au-dessus de leurs têtes, et longe les murs sur toute la longueur de la pièce. La passerelle, c’est le territoire des contrôleurs, l’escouade chargée de la bonne application du règlement : tous les quatre mètres se trouve une glace sans tain à travers laquelle ils peuvent surveiller le travail. Aucun moyen de savoir s’ils vous observent. On entend parfois leurs pas traînants quand on se tient sous la passerelle au moment où ils passent. Et ça file la chair de poule. Est-ce la procédure habituelle ? Ou bien ce qui est prévu lorsqu’on soupçonne quelqu’un ? Personne ne le sait vraiment. Comment sont-ils habillés ? En costume-cravate ? En uniforme ? Est-ce qu’ils sont armés ? On n’en sait rien. Ceux qui les ont vus n’ont fait que les apercevoir brièvement et ne se souviennent pas de grand-chose : une rouflaquette, un grain de beauté. Ils peuvent surgir à tout moment en vous brandissant leur badge sous le nez, puis vous passer les menottes et vous envoyer à Elmira où ils vous cuisineront jusqu’à ce que vous craquiez. Ils peuvent aussi vous jeter en prison. Enfin, si vous avez fait quelque chose de répréhensible. Mais quoi ?

  Voler du courrier par exemple. Ouvrir du courrier. Détruire du courrier.

  On entend toutes sortes d’histoires. Des gars piégés. Des histoires de chantage. Un gardien coffré pour avoir gardé une carte postale qu’il avait récupérée dans une poubelle. Un receveur des postes gay, prétendument impliqué dans une affaire de vol de pièces de monnaie, et qui avait dû quitter la ville à cause du scandale. Des transporteurs malmenés – jusqu’à ce qu’ils passent aux aveux – par des soi-disant agents, des rebuts de la CIA ou du FBI, trop brutaux, trop bêtes ou trop impulsifs pour ces vénérables institutions, qui finissent ici, où leurs mauvais penchants peuvent s’épanouir dans le simple but de terrifier la piétaille et de la faire marcher droit.

  La pointeuse se met en route. Les cartes sont poinçonnées sur un rythme aussi régulier qu’une marche militaire. On se salue de toutes parts. Mailman se dirige vers son box où l’attend le courrier qui n’a pas encore été trié. Comme ses collègues, il dispose d’étagères sur trois côtés munies de fentes pour chaque adresse ; les rues et les numéros sont clairement imprimés sous chaque fente, son itinéraire est donc dessiné en miniatur
e tout autour de lui. Il trie le courrier avec des gestes rapides, voit ainsi sa journée prendre forme sous ses mains et prend mentalement note de ce qu’il pourrait avoir envie de lire plus tard. Pas grand-chose à se mettre sous la dent à cette époque de l’année, aucune fête particulière (certes, la fête des Pères approche mais le volume du courrier consacré aux pères est une goutte d’eau dans l’océan de celui destiné aux mères) ; il ne voit plus passer de catalogues depuis au moins deux semaines. La plupart des étudiants sont repartis, et ils ont fini de renvoyer leur bazar chez papa-maman. La population a diminué de moitié. Ces gosses sont une vraie mine d’or pour Nestor, sans aucun doute ; une génération pourrie gâtée sans le moindre goût, ils achètent tout ce qui leur tombe sous la main et renouvellent leur garde-robe tous les quatre matins – mais tout le monde est soulagé de les voir repartir. De les voir regagner Long Island, le Connecticut, Park Avenue. La Corée. La Malaisie. Le Bhoutan ou Singapour.

  Chaque année, il y en a un ou deux qui craquent. La plupart sont de NYTech, où la pression est plus forte ; mais parfois aussi de l’université de Nestor, bâtie sur la colline opposée (où l’on étudie les matières les plus populaires auprès des étudiants : production audiovisuelle, gestion en tourisme et loisirs, culture générale). Un étudiant disparaît – ses copains disent qu’il ne s’est jamais pointé à une fête, ou bien qu’il est sorti tout seul, ou encore qu’il avait une drôle de voix au téléphone, hier –, on convoque les parents, qui débarquent à Nestor pour participer aux recherches. On parle bien de « recherches » parce que dans cette attachante contrée riche de puissantes chutes d’eau et de gorges majestueuses, la meilleure façon de se suicider, c’est encore de sauter. Et lorsqu’ils sautent – généralement au milieu du printemps, après les partiels et la longue saison des pluies –, ils s’écrasent sur les rochers, sont emportés par le courant pour finir nichés dans des enchevêtrements de ronces, dans une crique ou sur un affleurement rocheux ; quand ils ne font pas le grand plongeon dans les eaux sombres du lac. Pendant plusieurs nuits d’affilée, alors, on entend les appels des équipes de recherche, les hélicos de sauvetage qui bourdonnent au-dessus des torrents, et on ne cesse de lire dans les journaux que tout cela n’a absolument aucun sens, que ce garçon était parfaitement heureux, qu’il n’avait aucune raison de se tuer, un garçon gentil avec ça, généreux et tellement affectueux. Mais il n’en reste pas moins que même les gens sympas peuvent se foutre en l’air.